C’est tout d’abord l’histoire d’images capturées et torturées entre elles dans ma chambre noire, en 2008. Ces photos, parfois, étaient des erreurs, des clics hasardeux. Mon travail fut, dans le même principe de hasard que je soumettais de manière volontairement progressive (cadrer l’erreur, cadrer l’image et son processus inconscient), un accouchement métissé d’une copulation photographique.
Une entreprise de découverte, au fond oui, c’est bien ça, à force de scissions et de raccords, d’émiettements, de triturations et de pixels comme énucléés pour en faire sortir la matière, la redécouverte de plusieurs instants mêlés emmêlés dans un envers.
Godard disait que le cinéma consiste à « filmer ce qu’on ne voit pas », c’est une formule que je reprends pour la photographie : il y a là l’idée de se laisser guider par sa propre photo, de se plonger dans ses images comme un univers, un corps inconnus. A travers la retouche (j’aime ce terme, l’idée de toucher, de mettre ses mains dans les images, pour les caresser, les malaxer), je peux les explorer de l’intérieur, et cette exploration devient révélatrice de mon propre intérieur, comme un jeu de miroirs. Nous nous complétons, nous nous auto-alimentons, en quelque sorte.
La fragmentation pour mieux confronter, le cadrage hachuré pour mieux faire dialoguer les images, parfois juste des textures – et de part le dialogue une histoire se meut, un peu difforme, toute en sensations – même de déjà vu, des sensations de souvenirs. Oursons aux orgies aveugles, jeunes silhouettes indéfinies et voilées par des déchirures, loups de granit, mosaïques de tissus et de peaux, sans doute ai-je fais là une série somnambule, issue de rêves et de cauchemars de l’enfance, jusqu’à leur ombilic où le figuratif n’est plus.
Le noir&blanc tâché de grains en est le drapé évident et le flou, presque nocturne, en est le bercement.
Petit à petit, ce travail se dirige vers l’abstrait, mais sans jamais nier l’image originelle. Je tiens au contraire à ce que toutes mes photos, même abstraites, disent quelque chose sur l’objet photographié (cela reste, à priori, leur but).
Il arrive parfois qu’en changeant totalement un cliché, tout en utilisant ce qu’il semble contenir en lui, on trouve le meilleur moyen de parler de ce qu’il était sensé représenter au départ.
Les ambiances se cherchent, se révèlent, reconnaissent par la force des choses des influences, d’Antonioni à Lynch -peut être. Elles se sont toutes imposées, comme s’il avait fallu se battre contre les images pour qu’elles se métamorphosent.
2009